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Fille de L’Empire

Critique n°11 : La Trilogie de l’Empire, Tome 1 : Fille de l’Empire, Raymond E. Feist et Janny Wurts

« Dame, que pensez-vous qu’est le Jeu, si ce n’est rester en vie tout en se débarrassant de ses ennemis ? »

-Seigneur de guerre Almecho

On m’avait conseillé ce livre il y a déjà plus d’un mois déjà. Mais comme j’avais lu beaucoup de fantasy à la suite, j’avais décidé de reporter un peu la lecture de ce tome. On m’avait bien précisé, cependant, qu’il faisait partie d’une saga bien plus vaste, les Chroniques de Krondor ; mais que cette Trilogie de l’Empire mettait l’accent sur une autre région. J’ai appris par la suite que parfois, apparemment, certains événements de la trilogie de l’Empire pouvaient être concomitants de ce qu’il se passe dans d’autres volumes des Chroniques.

A l’origine destinée à rejoindre les ordres, Mara, une jeune fille noble, se retrouve propulsée à la tête de sa famille, les Acoma, à la suite de la mort de son père et de son frère. Seulement, l’assassin de sa famille, Jingu Minwanabi, a bien l’intention de faire disparaître les Acoma. La jeune fille doit donc apprendre à composer avec son nouveau rôle au plus vite – tout en protégeant sa famille.

Je ne le cache pas, j’ai tout de suite pensé au personnage de Daenerys Targaryen en commençant à lire : au départ jeune noble inexpérimentée, elle apprend ce que diriger une famille signifie, tout en apprenant les arcanes de la politique. Là s’arrête la ressemblance. Mara est certes entourée de sa nourrice qui devient son premier conseiller, ainsi que de deux soldats fiables, mais elle reste une toute jeune fille dans un monde dirigé par les jeux de pouvoir. Elle ne peut compter que sur elle-même et son intelligence, alors qu’elle a manqué plusieurs années d’éducation politique. Et cela marche. Elle a tendance à réfléchir hors des sentiers battus, prenant des options parfois audacieuses – qui fonctionnent.-, avec des interprétations personnelles et nouvelles des traditions Tsuruannis. Mais les idéaux de pureté morale ne tiennent pas longtemps dans ce monde : progressivement, Mara se doit de devenir impitoyable, de ne pas montrer la moindre preuve de faiblesse. Alors même que parfois, elle éprouve des remords et des regrets. Et en cela je salue tout le développement de son personnage. On ne peut qu’admirer le dévouement de Mara envers son clan, qui la conduit à se mettre parfois dans des situations forts délicates, où elle ne peut parfois que disposer ses pions..et d’attendre.

Je peux noter également l’univers, assez étonnant pour un roman de fantasy. Là où beaucoup de romans fantasy sont dans un cadre plutôt européen, l’Empire où réside Mara est très clairement inspiré du Japon féodal : certains noms qui ne détonneraient pas au Japon tels les Anasati ou les Minwanabi, le Seigneur de guerre qui rappelle le Shogun, le système de clans, les guerriers gris rappelant les rônins, ainsi que certaines traditions comme le suicide. Mais ce n’est pas un simple copier-coller du Japon ; l’Empire a ses propres particularités, souvent évoquées via la manière dont Mara les contourne et les utilise au contraire à son avantage.Mais à la fin du roman, on sent qu’il existe encore bien d’autres éléments dans cet univers, que j’ai eu progressivement hâte de découvrir, notamment les guerriers cho-ja.

Passons enfin aux personnages. J’ai déjà évoqué le personnage de Mara, qui loin d’être caricatural est bien campé et intéressant, dont on voit l’évolution. Il est facile de s’attacher à plusieurs de ses proches, notamment Nacoya et Lujan. Si ses ennemis sont bien campés, j’aurais apprécié parfois avoir un peu plus de nuances dans leurs personnalités, et qu’on aille plus loin dans leur opinion de Mara que « la chienne Acoma. » (Je ne ferais pas de commentaire sur l’insulte, mais en lisant cela, j’ai levé les yeux au ciel.) On comprend que pour eux, Mara est un ennemi, mais j’aurais aimé en savoir plus sur leurs motivations personnelles au-delà d’une simple querelle de famille.

Cependant, il y a une chose que j’ai appréciée : je n’ai eu que très rarement l’impression de lire une scène vraiment inutile. Qu’il s’agisse de scènes de vie quotidienne chez les Acoma ou d’intrigues politiques, chaque passage a son importance. Je peux juste regretter la façon dont certaines scènes se passent (notamment le passage citer dans le paragraphe au-dessus), mais pas leur nature. J’ai de plus apprécié la tension du premier chapitre, même si l’on sait que quelque chose va se passer. On retrouve de plus certains effets de parallèle assez intéressants entre le début et la fin du roman, qui montrent bien comment les personnages ont évolué entre temps.

Au final, ce livre a été une lecture assez plaisante – une fois de plus sans être un coup de cœur-, je lui donne donc un 8,5/10. L’univers est différent, l’intrigue intéressante et bien traitée, avec plusieurs personnages que l’on apprend à apprécier. Il a des défauts, c’est certain, mais rien qui puisse vraiment empêcher la lecture. J’ai donc hâte de lire le second tome !

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Interlude

Salon littéraire : ou comment faire pleurer son portefeuille

J’ai passé la journée d’hier à un salon littéraire avec un ami. J’avais un peu parcouru la liste des auteurs présents, sans réellement noter les titres qui me paraissaient intéressants, préférant faire jouer la sérendipité en flânant dans les allées. Et en flânant, effectivement, j’ai trouvé trois romans qui me paraissaient sympathiques à lire.

(Et j’ai pu constater que la gestion de l’espace était très approximative. Des allées pas assez larges, des « gros » auteurs trop rapprochés les uns des autres, des files d’attente pas organisées, des flux contraires de circulation, ça créée rapidement une ambiance un peu anxiogène. )

J’ai commencé par acheter Quatre-vingt-dix secondes, de Daniel Picouly. Voici le résumé « « Le diable a bu du rhum. On a souillé les églises, déterré les cadavres. Saint-Pierre doit se repentir. Tandis que je crache de la boue et du feu, que je ravage les champs, les bêtes et les hommes, ils battent des mains comme des enfants à Carnaval. Ils oublient de redevenir des animaux sages, de faire confiance à leur instinct. Fuyez ! Je suis la montagne Pelée, dans trois heures, je vais raser la ville. Trente mille morts en quatre-vingt-dix secondes. »

Avec une verve baroque et vibrante, Daniel Picouly, prix Renaudot pour L’Enfant Léopard, incarne l’épopée terrifiante de la Montagne Pelée, force mythologique, dans un roman foisonnant aux résonances étrangement actuelles. »

Le titre et la couverture m’avaient intrigué, alors j’ai jeté un coup d’oeil au résumé. Le fait est que j’adore les volcans, alors je me suis dit « pourquoi pas ». Les premières lignes m’ont convaincue ; et un livre dans la cagnotte au bout de même pas dix minutes de salon !

J’ai ensuite acheté Les hommes incertains, d’Olivier Rogez. Là, clairement, j’ai craqué sur la couverture. Parce que l’architecture traditionnelle russe me plaît beaucoup..et le résumé me paraissait attrayant. Jugez.  » Anton a vingt ans. Fraîchement débarqué de Sibérie, il vit à Moscou chez son oncle Iouri Nesterov, haut responsable du KGB. Autour d’eux, le monde s’effondre. Nous sommes en 1989, la fièvre de la perestroïka s’est emparée de leur pays et la chute du mur de Berlin va entraîner celle de l’Union soviétique. Chargé de surveiller de près la lutte politique qui se joue au sommet de l’État, spectateur désabusé d’un régime qu’il ne défend plus que par devoir, Iouri ne croit plus aux idéologies ni aux révolutions. Dans cette ville bouillonnante où se joue le drame collectif d’une nation, il accompagne la folle destinée de personnages déboussolés par l’époque : la peintre Helena, Aliona et ses talents divinatoires auxquels Anton ne reste pas longtemps insensible, Gueorgui le sombre Géorgien, ou encore le mystérieux starets qui semble surgir de la Russie prérévolutionnaire. Alors que l’affrontement entre Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine menace de disloquer l’empire rouge, Iouri et Anton vont chacun à leur façon chercher à influencer le cours des événements.
Les révolutions sont toujours l’occasion de mettre en valeur les grands hommes, à condition toutefois de ne pas se laisser dévorer : entre le sauve-qui-peut général et le chacun-pour-soi, ne risquent-ils pas d’y laisser leur âme ? »

Et enfin, j’ai craqué pour Eden, de Monica Sabolo. Un peu sur un coup de tête je l’avoue. (Et du coup j’ai mal compris le résumé, je m’étais arrêtée aux toutes premières lignes. ) Mais bon, ça avait l’air intéressant ! Voici de quoi il retourne.

 » « Un esprit de la forêt. Voilà ce qu’elle avait vu. Elle le répéterait, encore et encore, à tous ceux qui l’interrogeaient, au père de Lucy, avec son pantalon froissé et sa chemise sale, à la police, aux habitants de la réserve, elle dirait toujours les mêmes mots, lèvres serrées, menton buté. Quand on lui demandait, avec douceur, puis d’une voix de plus en plus tendue, pressante, s’il ne s’agissait pas plutôt de Lucy – Lucy, quinze ans, blonde, un mètre soixante-cinq, short en jean, disparue depuis deux jours –, quand on lui demandait si elle n’avait pas vu Lucy, elle répondait en secouant la tête : « Non, non, c’était un esprit, l’esprit de la forêt. » »

Dans une région reculée du monde, à la lisière d’une forêt menacée de destruction, grandit Nita, qui rêve d’ailleurs. Jusqu’au jour où elle croise Lucy, une jeune fille venue de la ville. Solitaire, aimantant malgré elle les garçons du lycée, celle-ci s’aventure dans les bois et y découvre des choses, des choses dangereuses…
La faute, le châtiment et le lien aux origines sont au cœur de ce roman envoûtant sur l’adolescence et ses métamorphoses. Éden, ou le miroir du paradis perdu. »

Et voilà qui conclut ce passage en salon littéraire – et qui agrandit encore plus ma pile de livres à lire !

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La Servante Ecarlate

Critique n°10 : La servante écarlate, Margaret Atwood

« Dites-vous que c’est comme vous étiez à l’armée »

-Tante Lydia

Cela faisait un bout de temps que j’avais entendu parler de cet ouvrage -surtout pour souligner son côté dérangeant et dystopique-, à cause du succès de la série. J’ai eu récemment l’opportunité de l’emprunter..alors je me suis dit pourquoi pas. Autant me faire mon propre avis dessus.

A la suite d’une révolution menée par des religieux dans ce qu’il semble être les Etats-Unis, un régime totalitaire s’est installé. Les femmes y sont dévalorisées, interdites de travailler, ne peuvent pas avoir leur propre compte bancaire. Elles sont divisées en castes ; seules les Épouses possèdent une ombre de pouvoir. Ensuite viennent les Marthas, les Econofemmes, les Tantes, et enfin les Servantes. Celles-ci, habillées de rouge, ne sont destinées qu’à la reproduction humaine ; le taux de natalité a drastiquement chuté à cause de la pollution de l’atmosphère. Nous suivons ici l’itinéraire de l’une d’entre elles, Defred, affectée à un Commandant.

Comment décrire ce roman autrement que par l’adjectif « perturbant ? » L’aspect éminemment religieux de cette République de Gilead me perturbe. Le concept même de Servante me perturbe. L’inactivité à laquelle les Epouses sont tenues me perturbe. De nombreuses scènes me perturbent, à commencer par la scène de Cérémonie au début du roman, ainsi que celle de l’accouchement. Sans parler des séances d’humiliation publiques que Defred mentionne. Comment rester de marbre lorsqu’une Tante rabâche que si untelle a été abusée, c’est de sa faute ? C’est impossible, j’ai été choquée et énervée. Mais Defred raconte que les futures servantes ont été tellement conditionnées qu’elles en viennent à croire une horreur pareille – le slutshaming dans toute sa splendeur. De la même manière, un homme ne peut être stérile – c’est toujours la faute de la femme, alors même que certains médecins l’avouent timidement en privé. Et l’on en vient à parler d’autodafés, de censure des magazines, même les plus anodins. Car les femmes ne doivent plus lire, ni écrire, maintenues soigneusement dans l’ignorance.

Il est impossible de passer à côté le degré assez incroyable de déshumanisation que les Servantes subissent. Tout d’abord, on les prive de leur nom pendant leur entraînement. Le seul nom qu’elles pourront avoir, sera De+le nom de leur commandant ; ainsi, Defred appartient au Commandant Fred. En version originale, Defred s’appelle Offred – avec en prime un jeu de mots sur offered, offerte…qui insiste bien sur la dimension sacrificielle du personnage. Les Servantes ne doivent ensuite porter que des robes rouges qui leur sont imposées..et leur visage est voilé de blanc. Le message est clair : la Servante n’existe plus en tant que femme. Defred se fait elle-même la réflexion qu’elle n’est plus qu’un utérus ; c’est avec son utérus que le Commandant interagit, ce n’est pas elle. Perspective qui fait froid dans le dos.

Il faut aussi souligner la narration, qui sert très bien le propos. Le ton de Defred est toujours très froid, détaché, chirurgical presque. Comme si elle se détachait de tout ce qui lui arrive pour ne pas hurler d’horreur ; et c’est une narration diablement efficace. Ou alors est-ce son entraînement qui l’a rendue ainsi, aussi insensible ? Ce n’est pas impossible ; surtout qu’il est sous-entendu que certaines futures servantes sont droguées pour qu’elles soient plus dociles. Mais là où le roman est intéressant, est par l’habile mélange de la narration au présent et des souvenirs de Defred. Elle nous raconte sa mère, sa meilleure amie Moira, sa vie avec Luke, la fille qu’ils ont eu ensemble..et évoque sa capture du bout de la plume. « Je n’ai pas envie d’en parler. », dit-elle. Comment ne pas la comprendre ? Qui souhaiterait se rappeler l’horreur ?

Il y a encore tant de choses que je pourrais évoquer pourtant. Les personnages en particulier sont très intéressants. Difficile de ne pas compatir à Defred et ses consœurs, comme Deglen et Dewarren ; on s’attache à ces femmes forcées d’être des Servantes. Surtout Defred : on sait qu’elle avait un mari dont elle a été séparée lors de sa capture, et une petite fille donnée à un Commandant et sa femme pour qu’ils l’élèvent. Ca fend le cœur. Et le personnage de Serena Joy est d’une ironie tragique…là où son mari, le Commandant, rend perplexe. Au départ il semble d’une probité à toute épreuve..et montre plus de profondeur par la suite.

Pour moi ça sera donc un 8,5/10. Malgré ses thématiques dérangeantes, ce roman est vraiment intéressant à lire, j’ai eu du mal à en décrocher. Mention pour l’épilogue, que je ne détaillerai pas ici cependant pour des raisons évidentes. Au final,c’est un roman que je recommande – mais il n’est pas à mettre entre toutes les mains.

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La Traque des Anciens Dieux, tome 1 : Les Deux Princes

Critique n°9 : La Traque des Anciens Dieux, Tome 1 : Les Deux Princes , H. Lenoir et C. Dufresne

« L’aventure ne présentait aucun intérêt, à part celui de se cuire la peau des fesses sur une selle. »

J’ai entendu parler de ce livre un peu par hasard, via du bouche à oreille. La première chose qu’on m’avait dit de ce livre, c’est qu’il était drôle. J’ai donc vérifié le résumé, il m’avait semblé vraiment intéressant, un peu décalé ..et donc, j’ai pris la décision de le lire. Et j’ai adoré.

Marc est un prince qui a toujours vécu tranquillement à la cour. Mais l’année de ses vingt-sept ans, sa mère le force à respecter la tradition princière du continent et de partir à la recherche d’une princesse à sauver et épouser. Sauf que la princesse qu’il réveille..s’avère être un prince. A leur grand dam, Marc et Eleuthère se retrouvent fiancés en vertu d’un ancien enchantement. Commence alors une quête pour se débarrasser de ce sort, qui finit par prendre des proportions qu’ils n’auraient jamais imaginées.

Je l’annonce d’emblée – ce livre est hilarant. Je n’ai pas cessé de pouffer en le lisant, pour des multitudes de raisons. On a tout d’abord un énorme comique de mots. Que ce soit certaines répliques prononcées textuellement par les personnages ( une vieille dame qui dit de Marc qu’il a l’air constipé) ou certaines réflexions qu’ils se font, cf la citation que j’ai mise en avant. Un comique de caractère ensuite : on peut penser à Marc et son côté un peu ours grincheux, ou la roublardise de Gaspin – un personnage que nos héros croisent assez vite. Mais surtout, je note le comique de situation. On a là un énorme détournement du conte de fées traditionnel : la princesse à sauver s’avère en fait un prince pas très enthousiaste à l’idée d’épouser Marc (et ça se comprend), l’animal magique censé aider Marc qui l’attire en fait dans ce traquenard de mariage forcé, le héros qui n’est pas forcément très intéressé par le fait de partir dans une aventure, la marraine d’Eleuthère – une fée- qui attaque nos deux protagonistes. Ou alors Gaspin qui se propose de rédiger un équivalent du Guide Michelin du continent. Et pourtant, ce n’est pas de l’humour juste pour faire de l’humour : tout s’emboîte, c’est cohérent, ça fait un pied de nez aux contes – et ça se moque ouvertement de ce genre de littérature. La preuve en est que certains personnages discutent eux-même des clichés de la littérature merveilleuse à certains moments de leur aventure.

Mais le roman ne s’arrête pas qu’à son apparence de légèreté. L’histoire derrière tient plus que bien la route. D’une simple petite quête personnelle, on s’attaque à quelque chose de beaucoup plus grand et important, à la portée universelle. Chaque péripétie est bien pensée et s’intègre logiquement au récit, je ne vois aucune longueur ou scène inutile ; plusieurs passages sont mêmes touchants, surtout vers la fin. L’univers est décrit de façon intelligente à travers les discussions des personnages ; ainsi, on n’est pas assommés par les détails techniques de l’univers dans la narration, tout est distillé à intervalles réguliers. Les révélations enfin, sont à la fois pleines de cynisme (« tout ça pour ça », pourrait-on dire) et d’humour (« juste pour quelque chose d’aussi ridicule ? »). Donc cette Traque est bien écrite, c’est fluide, c’est hilarant, que demander de plus ?

Parlons personnages maintenant. Il est facile de s’y attacher, aussi bien individuellement qu’au groupe disparate qu’ils forment. Car Marc et Eleuthère gagnent des amis au fil de leur aventure et de leurs haltes ; des amis hauts en couleur (mentions particulières à Saga, très cool et Bì Cui, absolument adorable), bien campés qui ont chacun leur place dans le groupe. Et qui évoluent chacun au fil de l’aventure – même les personnages « mentors », dont on pourrait croire qu’ils ont assez évolué durant leur (très) longue vie. J’aurais un seul regret : celui d’avoir deviné certaines révélations longtemps à l’avance. Peut-être est-ce d’avoir lu un certain nombre de romans fantasy, qui me fait appréhender plus facilement les mécanismes du genre. Ce qui ne m’a pas empêchée d’apprécier – et le mot est faible- le voyage !

Pour moi ça sera donc un énorme 9,5/10. J’ai vraiment eu un énorme coup de cœur pour ce roman drôle et bien ficelé, et j’ai très hâte de lire la suite !

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La Peau sur les Os

Critique n°8 : La Peau sur les Os, Stephen King

« Quand votre femme et vos gosses sont tués dans un accident d’avion, vous ne voulez pas qu’on vous explique que la défaillance du circuit A a bousillé le contacteur B, que l’aiguilleur du ciel C était affaibli par le virus grippal D, et que le navigateur E avait mal choisir son moment pour aller aux toilettes F. […] Vous cherchez un bouc émissaire, Halleck. Vous voulez que quelqu’un paye. »

-Duncan Hopley

Après l’avoir laissé de côté pendant des années, j’ai eu envie de relire ce roman de Stephen King, histoire de faire une pause dans les romans se rapprochant de la fantasy. On le rappelle, Stephen King est considéré comme le « Maître de l’Horreur » ; c’est un de mes écrivains préférés, donc il est possible que je ne sois pas complètement objective.

Billy Halleck est un avocat à succès. Mais un jour, il renverse une vieille Gitane avec sa voiture, la tuant sous le choc. Ses connexions au tribunal et à la police aidant, il s’en sort sans trop de dommages ; mais à la sortie du tribunal, un vieux Gitan lui caresse le visage et lui souffle « Maigris. » Et Billy commence à perdre un kilo par jour. Si au début, cela ne lui fait pas de mal, cette perte de poids commence à prendre des proportions inquiétantes, ce qui lui fait comprendre qu’elle n’est définitivement pas naturelle…et commence une course contre la montre.

Il faut d’abord préciser que La peau sur les os fait partie de ce qu’on appelle les « Livres Bachman. » En effet, souhaitant pouvoir publier plus d’un livre par an (ce qui dans les années 70/80 était visiblement inconcevable), Stephen King a pris un nom de plume, désirer aussi visiblement vérifier si son succès était dû au talent ou à la chance. A noter que les livres publiés sous le nom Richard Bachman sont souvent plus cruels et pessimistes. Celui -là ne fait clairement pas exception. Il est d’ailleurs assez drôle de noter d’abord un tacle que Bachman fait à King en parlant des malédictions dont souffrent certains personnages qui ont aidé Billy à s’en sortir, qui pour un personnage semblent sorties d’un roman de Stephen King. Les autres fans de King noteront aussi une analogie impliquant « un ballon crasseux tenu au bout du fil par un quelconque clown maléfique ». Et quel roman sort à peine deux ans après celui-ci ? Ça, livre ô combien emblématique de Stephen King., impliquant le célèbre clown mangeur d’enfants. La coïncidence est amusante. Et enfin, on note que le pseudonyme Bachman réapparaît dans le cycle de la Tour Sombre grâce à Claudia (y) Inez Bachman, auteur qui a écrit Charlie le Tchou-Tchou dans le Monde-Clé.

J’attaque d’emblée : très peu de personnages sont vraiment sympathiques. Billy est au début du roman un avocat arrogant, privilégié, qui se sort de son accusation d’homicide grâce à la complaisance du juge ; je l’ai trouvé particulièrement répugnant lorsque Stephen King décrit les moments où il s’empiffre comme un porc sans s’arrêter. Heidi, sa femme, devient de plus en plus détestable, tout d’abord par son hypocrisie (elle reproche à Billy d’être trop gros alors qu’elle fume plus de trente cigarettes par jour), ses préjugés contre les Gitans, puis son manque total de soutien envers son mari, et sa trahison…et l’on apprend qu’elle n’est pas innocente dans l’accident de Billy. Le film va même plus loin, en sous-entendant une liaison avec leur médecin de famille. Taduz Lemke, père de la Gitane qu’a renversé Billy et donc pour lequel on pourrait avoir de la compassion, est responsable de trois malédictions ayant pour but d’entraîner la mort. Ginelli, le propriétaire du restaurant qu’aimait fréquenter Billy, est le seul à vraiment écouter et soutenir activement le protagoniste…mais il s’agit d’un mafioso ayant trempé dans des affaires pas très nettes, prêt à prendre des mesures radicales – et il le prouve. Il n’y a guère que Linda, la fille de Billy, qui apparaît comme sympathique. Elle et son père entretiennent de très bonnes relations, et ont plusieurs moments touchants.

Il faut le noter tout de suite, c’est un roman très dur, sans concession. Billy analyse son environnement de riche banlieue américaine d’un œil féroce ( cf la femme d’un personnage dont il est connu qu’elle se met à boire de l’alcool dés quinze heures de l’après-midi ) et note sa propre hypocrisie puisque lui-même appartient à ce milieu privilégié. Il est avocat ; il est ami avec un juge avec lequel il va jouer au golf ; il est aussi plus ou moins ami avec son médecin de famille. Les rapports entre Billy et sa femme sont légèrement tendus au-début (entre son surpoids, le fait qu’elle fume, l’histoire de l’accident de voiture, il y a une certaine rancœur sous-jacente entre eux), ils semblent s’améliorer une fois qu’ils passent quelques jours ensemble..et puis tout se dégrade, sans retour possible ; et il éprouve même de la haine envers elle. Face au surnaturel de son amaigrissement, Billy est seul. Personne ne veut croire qu’il ait effectivement été maudit – sauf Ginelli. Et la femme du juge. Et là réside une cruelle ironie du roman : Billy, le policier et le juge qui ont été complaisants envers lui sont chacun maudit « là où ça fait mal » ; Billy l’obèse devra maigrir jusqu’à ce qu’il meure.

Ce roman a le mérite de faire réfléchir, notamment sur la notion de responsabilité ; le fait d’assumer ses actes. Billy finit par se dire que sa femme n’est pas la seule responsable de l’accident, qu’il a sa propre part là-dedans. C’est un progrès par rapport au début. Mais est-ce assez ? Et où se situe la vraie justice ? Taduz Lemke a perdu sa fille, certes – mais a-t-il raison de condamner à mort Billy ?

Et que dire de la fin. De la cruelle fin. Elle est géniale et tragique, et on ne la sent presque pas venir. On ne peut que saluer le talent de l’auteur. Le suspense est présent tout le long du roman ; c’est avec horreur qu’on voit chaque titre de chapitre indiquant le poids de Billy. Et ca descend. Ca descend. Et que dire de cette digression, presque, où la femme du juge décrit ce qui est arrivé à son mari dans des détails terrifiants ? Où l’on croise le policier – passage qui donne presque envie de vomir ? Et ce sentiment de malaise terrifié que l’on ressent à chaque page ; et cette envie de rire nerveusement parfois – par exemple lorsque Billy a tellement maigri qu’il en perd son pantalon sous sa robe d’avocat ?

Pour moi, La peau sur les os mérite un bon 8,5/10. Ne serait-ce que pour l’attention apportée à la psychologie des personnages et l’atmosphère qui est installée. A noter que le film va encore plus loin dans la fin cruelle et pessimiste – mais que les personnages sont encore moins sympathiques.

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Song of a Silver Sword, tome 1: The Light We Always Follow

Critique n°7 : Song of a Silver Sword, volume 1 : The Light We Always Follow, Mel Auclair

« Well, we’re all running away from something, aren’t we ? »

-Bastian

Il y a plusieurs mois, un ami québécois a publié un roman sur Amazon, et la preview me paraissait extrêmement intéressante. Mais les mois ont passé, et j’ai fini par oublier un peu que ça serait bien que je le lise. Ce blog a été pour moi l’occasion d’y jeter un œil. Donc aujourd’hui, ça sera une review sur un roman en langue étrangère : l’anglais ! Ou l’heure de vérifier que je ne suis pas complètement rouillée dans cette langue.

Tout le monde fuit quelque chose. A commencer par le trio dont nous suivons les aventures. Del fuit son meilleur ami, une sorcière lui ayant prophétisé que la personne qu’il aime le plus au monde périrait de sa main. Bastian vit au jour le jour, voyageant au gré de ses envies. Mais il se retrouve un jour accusé d’un crime qu’il n’a pas commis, et doit fuir pour protéger sa vie. Jalev, le visage marqué, passe son temps à regarder derrière son épaule, comme poursuivie comme une ombre. Le hasard les a réunis, et maintenant, ils fuient ensemble.

J’aimerai tout d’abord saluer la façon dont les personnages principaux sont écrits. Del est absolument adorable, on ne peut que s’attacher à lui ; Bastian est à la fois génial et agaçant par son insouciance constante ; Jalev impressionne avec son calme et sa dévotion à ceux qu’elle aime. Chacun a sa personnalité bien distincte, qui le rend attachant, qui donne envie de suivre ses aventures. Leurs interactions sont un régal à lire, et je les salue aussi ; derrière les gentils moqueries et le léger agacement parfois, chacun se préoccupe des deux autres et les défendrait au péril de sa vie. La preuve en est lorsque Bastian se fait capturer, les deux autres veulent aller le récupérer en dépit de toute raison ; et lorsque Del et Jalev sont emprisonnés, il décide de tout faire pour les aider. C’est une merveilleuse amitié qui nous est présentée là. Et ça, ça me touche. On les sent évoluer tout au long du roman, au fur et à mesure qu’ils abaissent chacun leurs barrières et se révèlent, parlent par bribes de leur passé. Et cela se voit avec la fin qui est un rappel du début, commençant au même endroit, avec des répliques qui se ressemblent ; mais quelque chose a changé. Leur état d’esprit.

De façon générale, je dirais même que les relations entre les personnages sont un vrai point fort du roman. L’amitié maudite entre Kai et Del est absolument tragique ; les passages où ils se croisent, sans jamais pouvoir vraiment parler, un vrai crève-cœur. De même que la relation entre Avery et Eleanore. Il n’y a qu’un passage où on les voit vraiment parler seul à seul, de cœur à cœur ; et c’est un passage déchirant, parce que le lecteur sait des choses qu’Avery ne sait pas. Et est trop aveugle pour voir. Et cette amitié (?) étrange entre Yakov et Jalev. Il prétend être son frère, elle ne le croit pas, se méfie de lui ; et pourtant il court toujours à sa rescousse, trouve toujours le moyen de la retrouver. Au départ, je l’avoue, j’ai cru à une facilité scénaristique, avec sa manie d’arriver de nulle part. Mais au fond, Yakov ne nous est jamais vraiment présenté. On ne sait pas qui il est, d’où il vient, quelles sont réellement ses capacités, Jalev ne lâchant que très peu d’informations ; et j’ai hâte de lire le second tome pour en savoir plus sur lui.

Cependant, il est certaines choses que je regrette. J’aurais aimé beaucoup plus de descriptions de l’univers dans lequel cette histoire : parler du pays, de son fonctionnement, plus de descriptions des endroits que notre trio traverse. J’ai eu l’impression d’être un peu dans une campagne de jeu de rôle (en particulier avec l’apparition d’un certain personnage à la fin) : on ne donne que les informations strictement essentielles, juste assez pour pouvoir se représenter vaguement les lieux. En revanche, je ne peux que saluer le côté très cinématographique de la narration : on suit nos personnages sur la route, on voit leurs actions très clairement, il n’y a pas de moments de flottement. J’aurais aimé, également, plus d’introspection dans la psyché des personnages, mais c’est sans doute une préférence personnelle dûe à ma propre façon d’écrire : j’aime lire tout le processus de réflexion d’un personnage, j’aime voir son univers mental. Petit point négatif aussi, certains dialogues qui successions de répliques sans rien autour ; très peu de réactions, ou la manière dont est dite telle ou telle phrase. En revanche, je salue certaines répliques qui sont déchirantes, inspirantes, qui font réfléchir.

Et c’est là un autre des points forts du roman. Ce roman offre certes une très belle histoire d’amitié et de confiance, mais il parle de l’importance des choix. Lorsque plusieurs possibilités s’offrent à nous, quelle est la bonne décision à prendre ? L’égoïsme ? L’altruisme ? La solution qui permet de moins faire souffrir les deux ? La fuite ? Et c’est là aussi qu’intervient le libre-arbitre. Tout est-il écrit, ou peut-on encore avoir la prétention de faire ses propres choix ? Et c’est là que j’ai en tête La Tour Sombre, de Stephen King, avec l’importance que revêt le ka pour Roland de Gilead, et le scepticisme d’Eddie Dean…

Je salue, de fait, le style du roman. Il est simple, facilement compréhensible même pour un non-bilangue, ne se perd pas en fioritures lourdes à supporter, et sert bien son propos. Le trio formé par Del, Jalev et Bastian ne s’encombre pas de détails ou de parlote ; ce sont de personnes d’action. Qui n’hésitent pas. Mais parlons narration maintenant. Le roman commence in medias res, en pleine discussion entre les personnages principaux ; et l’on est happé. Les choses s’enchaînent naturellement, de façon logique et cohérente. On peut reprocher cependant un léger immobilisme au milieu du roman. Nos personnages sont tous au même endroit, et n’en bougent presque pas jusqu’à la fin du roman, c’est un peu frustrant. Mais plus on avance, plus on comprend que c’est nécessaire. C’est là que l’intrigue se noue..et se dénoue. A la manière des pièces de théâtres, on a ici une unité de lieu. J’applaudis enfin la manière dont toute l’intrigue est construite pour arriver à la révélation qui tombe aux trois quarts du roman, et nous laisse bouche bée. Et le quart restant n’est qu’un ascenseur émotionnel, entre moments de semi-espoir et moments tragiques.

C’est donc un bon 8,5/10 pour moi. J’ai été happée par cette histoire, enchantée par le trio Del-Bastian-Jalev, leurs interactions, la façon dont ils prennent soin les uns des autres. En particulier, le personnage de Jalev m’a particulièrement plu. Il aurait été si facile de basculer dans le stéréotype féminin de la femme forte aussi invincible que sa personnalité est plate ; mais ce n’est pas le cas ici. Oui Jalev est forte, mais elle est maternelle, elle est faillible et sensible, elle est humaine avant tout. Je regrette juste le worldbuilding qui n’est pour moi assez développé. Mais clairement, je recommande ce livre et j’ai extrêmement hâte de lire la suite. Et mention à la couverture, qui est pour moi très jolie. En espérant qu’un jour, on puisse le trouver en format papier de notre côté de l’Atlantique.

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L’homme qui savait la langue des serpents

Critique n°7 : L’homme qui savait la langue des serpents, Andrus Kivirähk

« IL N’Y A PLUS PERSONNE DANS LA FORÊT. Sauf des scarabées et autres petites bestioles, bien entendu. Eux, c’est comme si rien ne leur faisait de l’effet, ils persistent à bourdonner ou à striduler comme avant. Ils volent, ils mordent, ils sucent le sang, ils me grimpent toujours aussi absurdement sur la jambe quand je me trouve sur leur chemin, ils courent dans tous les sens jusqu’à ce que je les fasse tomber par terre ou que je les écrase. Leur monde est toujours le même – mais même cela, il n’y en a plus pour longtemps. Leur heure viendra ! Bien sûr, je ne serai plus là pour le voir, nul ne sera plus là. Mais leur heure viendra, j’en suis sûr et certain. »

J’avais entendu parler de ce roman estonien au début de l’été, et il me semblait intéressant. Mais, évidemment, ma capacité d’attention étant ce qu’elle est, il s’est retrouvé derrière d’autres livres que j’avais jugé plus urgent de lire. Evidemment. Mais le fait est qu’avec un ami, nous nous sommes lancés un petit challenge littéraire : cet été, nous devions lire des ouvrages d’auteurs d’Europe de l’Est. C’est maintenant chose faite…et je regrette de ne pas avoir mis le nez dans ce roman plus tôt.

Nous suivons ici Leemet, un homme des bois qui sait la langue des serpents, c’est à dire la capacité à communiquer avec les animaux. Il peut discuter avec eux, ou, pour les animaux les plus « obtus », simplement s’en faire obéir. Au début du roman, il est seul, et au fil de ses pensées revient sur le récit complet de sa vie, de son enfance somme toute assez heureuse dans la forêt jusqu’à maintenant. Une enfance qui arrive néanmoins dans une période assez troublée. Les autres hommes des bois comme lui quittent la forêt pour aller s’établir au village, alors que les chevaliers teutons arrivent en Estonie et christianisent le pays.

J’ai été immédiatement happée par ce livre. J’ai beaucoup aimé cette Estonie imaginaire et merveilleuse qui nous est présentée, avec ses mythes, ses légendes et ses « pouvoirs » : celui de parler aux animaux. Par certains aspects, j’ai eu l’impression de retrouver un peu le genre d’univers que Miyazaki a créé dans son film Princesse Mononoké : un temps lointain, plein de merveilleux. C’est un vrai plaisir de suivre les aventures de Leemet dans la forêt, ses mystères et ses beautés. C’est un univers bien étrange, et pourtant attrayant ; on ne peut que comprendre l’attachement du personnage principal, d’autant plus que la narration est effectuée à la première personne.

De plus, j’ai beaucoup apprécié la présence d’une petite postface qui éclaire bien l’ouvrage : il est vrai que je ne suis pas vraiment familière avec l’Estonie (sauf en vague mention quand on évoque les pays baltes), encore moins avec sa littérature. Elle conclut bien le livre, donne beaucoup de clés pour comprendre le roman. Notamment, j’y ai appris que le roman avait été un énorme succès en Estonie, et joue beaucoup avec les thèmes nationalistes estoniens pour les tourner fréquemment en ridicule, comme l’épisode de la fleur de fougère, qui à la première lecture fait beaucoup penser aux quêtes qu’aurait à accomplir un quelconque héros de roman fantasy, et qui pourtant s’avère un coup d’épée dans l’eau. L’ironie mordante de l’auteur se fait bien sentir. Notamment ce gros paradoxe : ce qui tue le monde de Leemet, c’est la modernité -le monde agricole-, alors que c’est ce dernier qui est célébré dans les récits un peu romantisés de l’histoire de l’Estonie. De même, le kvass, boisson ô combien traditionnelle, ne vaut pas mieux que l’eau aux yeux des hommes des forêts…

Je dirais ensuite que ce roman, c’est un roman de la solitude. La toute première phrase du roman, citée plus haut, est très éloquente : Leemet est seul. Car au fil de l’enfance de Leemet, la forêt se vide progressivement de ses habitants humains, qui préfèrent le village, le pain, la sécurité offerte par les hommes de fer (comprendre ici les chevaliers). Leemet perd ses amis, qui le méprisent parce qu’il paraît archaïque à côté d’eux, lui qui est vêtu de peaux de bête, vit dans la forêt, parle la langue des serpents, alors qu’eux portent des beaux vêtements en tissu, connaissent l’agriculture, portent des noms chrétiens. Et alors même que les effectifs des hommes des bois sont de plus en plus réduits, il entretient des relations pour le moins tendues envers ceux qui restent, fidèles aux anciennes coutumes. On nous montre comment Leemet est arrivé au point où commence le roman : le seul homme du bois qui reste, le seul qui maîtrise la langue des serpents.

L’auteur est très clair sur ce point : il refuse catégoriquement les nostalgies excessives. Le Sage des bois, adorateur des génies des forêts, trouve des justifications parfois contradictoires à la même chose, et devient complètement fou. Le père d’Hiie, lui, est présenté comme un conservateur pur et dur, qui est tellement accroché aux anciennes coutumes qu’il agit parfois de façon ridicule aux yeux des autres habitants de la forêt. Par exemple, il conserve bien plus de louves destinées à la traite qu’il n’est nécessaire, alors que sa famille ne compte que trois membres et n’a pas besoin d’autant de lait. Leemet, lui, est tiraillé entre les anciennes façons de vivre et ce que lui dicterait la raison : aller vivre au village, comme tout le monde, puisque la forêt est presque vide. Ce roman pose par ailleurs la question des minorités : faut-il s’accrocher aux vieilles traditions, faut-il suivre celles de la population dominante du pays, faut-il essayer de panacher ? En tout cas, pour l’auteur, s’accrocher coûte que coûte aux coutumes n’est pas une solution.

C’est un roman bien pessimiste qui nous est présenté. La naissance de Leemet se produit à la fin d’une époque. Le don de parler aux serpents est peu répandu, il ne naît plus de garçons après Leemet, la plupart des hommes des bois partent, sauf quelques familles d’irréductibles avec laquelle la famille de Leemet a bien du mal à s’entendre. Mais il y a quelques passages assez drôles, comme celui où Leemet découvre le pain et déteste ça, alors qu’il s’agit pour nous d’un aliment consommé de façon courante. De même, le passage où Leemet rencontre les bébés serpents est à la fois adorable et comique – ceux-ci zozotant de manière adorable. Et que dire des anthropopithèques ? Je les ai trouvés assez hilarants. Si les hommes des bois font figure de réfractaires à la modernité, les anthropopithèques poussent encore plus loin le vice : ils vivent nus, élèvent des poux géants, et essayent de vivre de la manière la plus « ancienne » possible. La grotte qu’ils ornaient de peintures rupestres au début du roman leur apparaît encore trop moderne au fil de l’histoire – un comble !

J’ajouterai enfin que les personnages sont bons et réalistes. Outre les anthropopithèques hilarants, Leemet est crédible, on voit son évolution de petit garçon avide d’apprendre à jeune homme calme et pacifique, mais protecteur envers sa famille, jusqu’à vieil homme cynique à la fin. Il nous décrit avec fatalisme comment il en est arrivé là, seul. On ne peut qu’éprouver de la pitié pour la pauvre Hiie, qui toute sa vie n’aura vécu que des malheurs ; un personnage qui apparaît vers la fin du roman est très bien campé et impressionnant. Mais la palme est pour moi accordée à Ints, le serpent. J’ai adoré lire les scènes avec lui, son mépris de ceux qui ont oublié la langue des serpents, qu’il voit comme abêtis.

Je mets un bon 9/10. Ce roman est vraiment extrêmement intéressant et bien écrit, avec de nombreux rebondissements et intrigues passionnantes. Je me suis vraiment prise au jeu, j’ai suivi Leemet dans toute sa vie. En revanche, je regrette juste quelques longueurs…et, malheureusement, certaines choses qui sont entraînées par le fait que Leemet et sa famille se retrouvent seuls avec deux autres familles – je ne peux en dire plus sans spoiler. Cela reste néanmoins un roman de qualité, que je conseille sans hésiter.

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Le Prince Captif, T1 : L’Esclave

Critique n°5 : Le Prince Captif, Tome 1 : L’Esclave, C.S Pacat

« – Qu’as-tu fait ? siffla Damen.
– Rien, répondit-elle. Je n’ai fait que choisir entre deux frères. « 

-Damen et Jokaste

Cela faisait un certain temps que je voulais me lancer dans la lecture du premier tome de cette série, dont j’avais énormément entendue parler sur Tumblr..et dont j’avais entendu le plus grand bien. Le moins que je puisse dire, c’est que clairement..je ne suis pas du même avis.

Le résumé est attrayant pourtant. Damianos est le légitime héritier d’Akielos. Mais un jour, son frère Kastor s’empare du pouvoir et emprisonne Damianos. Rebaptisé Damen, celui-ci est offert comme esclave de plaisir au prince du royaume voisin, Vère, avec lequel Akielos entretient des relations tendues. Mais son nouveau maître, Laurent, s’avère malgré sa beauté un homme épouvantable, manipulateur et menteur invétéré. Damen se retrouve ainsi pris dans les intrigues de la cour de Vère, et l’adaptation est loin d’être simple.

Sur le papier, si l’on ne tient qu’à ce résumé, ce roman avait tout pour me plaire. De la fantasy, des relations compliquées, un univers très clairement gréco-romain ; j’avais déjà lu plusieurs romans fantasy de chez Milady, et je n’avais jamais été vraiment déçue. Dans les faits, j’ai failli abandonner à la moitié de ce Prince Captif. La raison ? On nous fait bien comprendre que Vère est un royaume décadent et corrompu…nombreuses scènes de sexe et sous-entendu égrillards à l’appui. En soi, je n’ai rien contre les scènes érotiques. Mais là, vraiment, on vole de scène de fesse en scène de fesse dans la première moitié du roman. Entre la jeune esclave qui se presse contre Damianos-en-train-de-devenir-Damen, la scène entre Laurent et Damen dans les bains, l’arène où les combattants se battent avec leurs épées personnelles et cette scène dans les jardins, vraiment, c’était trop pour moi. Et cette importance incroyable accordée aux mignons, tous des hommes..voire dans un cas, un enfant de treize ans. La justification ? Coucher avec une femme risque de la mettre enceinte. Curieux que personne ne se soit penché sur la question de la contraception, qui existe dans notre monde depuis l’Egypte antique. Bref, tout est là pour nous faire clairement comprendre que Vère est la terre de tous les vices.

Autant dire que je ne me suis pas sentie particulièrement happée par ce roman. Je trouve les deux personnages principaux assez plats. Tout ce premier roman nous serine que Damen est honnête et aime son pays, et qu’il se préoccupe un peu des autres, d’où le fait qu’il veule protéger ses compatriotes esclaves à Vère. Et qu’il n’est pas bien malin, aussi. Et Laurent n’est qu’un menteur à tendances sadiques. Si on veut me faire croire qu’il a de la profondeur (ahah) parce qu’il refuse qu’on le touche (et qu’il y a donc une bonne justification derrière), c’est raté. J’ai eu plus d’intérêt pour certains personnages secondaires, comme Erasmus et Nicaise. Et encore. Heureusement, Damen et Laurent peuvent avoir, parfois, des réflexions sarcastiques assez drôles. Le seul intérêt que j’ai eu à lire leurs interactions, est de savoir si Laurent allait finir par apprendre que lui et Damen ont un certain contentieux datant de plusieurs années. Parce que la relation qui semble s’ébaucher ne me convainc pas : Damen qui trouve Laurent beau, des passages où il le hait de toute son âme, et d’autres où ils collaborent plus ou moins. C’est un peu léger pour un premier tome, je m’attendais à autre chose.

Je regrette aussi un style d’écriture qui ne me correspond pas du tout. Je l’ai trouvé plat, pas spécialement captivant, avec peu de place pour l’intériorité et l’introspection, choses que j’affectionne particulièrement. Sans compter, effectivement, qu’il faut un long moment avant d’arriver à la partie du récit qui n’est pas farcie de scènes de sexe, et où l’action commence vraiment, avec des intrigues de palais..

Je donne donc un 6 / 10. L’idée de base était intéressante, mais les nombreuses scènes érotiques ont eu raison de moi, et aucun des personnages ne m’est vraiment assez sympathique pour que j’ai envie de suivre ses aventures dans le tome 2. Ce roman n’est simplement pas pour moi.

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Les femmes de Stepford

Critique n°4 : Les femmes de Stepford, Ira Levin

« Les villes, déclara-t-elle, se créent peu à peu leur propre personnalité en fonction des gens qui choisissent d’y vivre. »

-Dr Margaret Fancher

Chaque année, il m’arrive de relire ce petit livre. Il m’a semblé assez intéressant, voire amusant, à commenter dans une petite critique.

Dans l’Amérique des années 70, une jeune femme, Joanna, déménage avec son mari (Walter) et leurs deux enfants dans la banlieue apparemment paradisiaque de Stepford. Petite particularité locale, la plupart des décisions concernant la ville dépendent plus ou moins directement du Club des Hommes. En revanche, presque toutes les autres femmes, toutes habillées fort à leur avantage, ne sont intéressées que par le ménage et la tenue de leur foyer, ce dont Joanna se rend compte lorsqu’avec l’aide de ses deux amies elle aussi récemment arrivées, Bobbie et Charmaine, elle tente de créer une association féministe. Néanmoins, après quelques mois, Charmaine puis Bobbie se retrouvent complètement métamorphosées, elles aussi, en parfaites femmes au foyer. Ce qui finit progressivement par lui causer quelques interrogations, puis inquiétudes. ..

Difficile de commenter ce petit roman sans basculer dans le spoiler. Mais je pense pouvoir dire qu’il s’agit d’une féroce satire, avec une ville peuplée par de (plus ou moins) riches américains blancs dont les femmes sont des obsédées du ménage. Sans parler du Club des Hommes, qui exerce une énorme influence sur la ville. Il est important de préciser que le livre a été publié en 1972, donc complètement dans la mouvance féministe. Joanna elle-même est engagée politiquement pour les droits des femmes, de même que son mari. Leur mariage semble heureux et épanoui, on les voit souvent discuter ; elle trouve un équilibre entre sa vie de famille et sa passion pour la photographie.

Ce qui m’amène aux personnages. Ils sont bien campés et intéressants. Joanna apparaît comme une femme assez normale, comme tout le monde, qui a ses intérêts..qui ne sont clairement pas le ménage. De même que son amie Bobbie, que je trouve toujours assez drôle et dotée d’un certain sens de l’autodérision, surtout face aux Femmes de Stepford. Sans parler de Charmaine, qui elle me paraît sur un autre plan, un peu vaine et superficielle – un de ses principaux intérêts est la lecture de traités d’astrologie-, mais tout de même assez drôle et décalée par rapport à ses voisines. J’aurais préféré un peu plus d’approfondissement du personnage de Walter, qu’on ne connaît vraiment que par une interview de Joanna et qui ne semble guère évoluer au fil du roman.

Une fois de plus, je ne peux pas trop pousser l’analyse du roman sans révéler le retournement final de situation, mais il est incontestable que les indices prouvant que tout n’est pas tout à fait normal à Stepford sont bien distillés, au fil des rencontres avec les autres habitants et habitantes de la ville. Cela commence par la voisine de Joanna, qui refuse de venir prendre le café chez Joanna un soir sous prétexte qu’elle a son parquet à cirer. Puis le manque total d’intérêt des habitantes de la ville pour la cause féministe, alors qu’on apprend que plusieurs années auparavant, il existait un Club des Femmes comptant plus d’une cinquantaine de membres. Certaines réflexions de certains personnages paraissent à double-sens. Et enfin, évidemment, les transformations des amies de Joanna en accros du ménage. La plus notable étant celle de Charmaine, qui semblait avoir un certain mépris pour son mari et se met brutalement à vouloir arranger sa vie entière autour de lui.

Juste un détail, mais par certains aspects, ce roman me fait beaucoup penser à la célèbre série Desperate Housewifes. Peut-être que le personnage de Bree Van de Kamp me rappelle un peu ces femmes plaçant leur famille au centre de tout, en s’oubliant elles-mêmes. Sans compter cette manie de boire toujours un verre d’alcool le soir, après le repas…

Je n’ai pu voir que l’adaptation de 2004, mais elle m’avait très peu convaincue. Au lieu du côté plus thriller/inquiétant du livre, l’accent est clairement mis sur le comique. Comme s’il s’agissait d’une satire de quelque chose qui était déjà satirique à la base…Et en y repensant, je trouvais même ce film plutôt gênant à regarder, et aucun personnage n’est vraiment sympathique, contrairement au livre.

A noter d’ailleurs que l’expression « Stepford wife » est même passée dans la langue anglaise pour désigner, donc, une femme complètement subordonnée à son mari en toute circonstance.

En conclusion,je mets un 9 à ce roman très bien ficelé. C’est avec plaisir que je le relis, comme à chaque fois.

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L’école de la chair

Critique n°3 : L’école de la chair, Yukio Mishima

La joie furieuse que l’être aimé éprouve à se profaner peut atteindre des profondeurs insondables. Et l’être qui aime est condamné à suivre, entraîné dans une perpétuelle descente aux enfers.

Étrange et perturbant roman que celui-ci. Encore maintenant, je ne sais pas trop quoi en penser. En un sens, il recèle tout ce que j’aime et ce que je n’aime pas chez Mishima, auteur que je ne peux cependant m’empêcher d’admirer. Pour moi, on peut l’aimer ou ne pas l’aimer, mais il faut reconnaître qu’il y a quelque chose dans ses romans.

Dans le Japon des années 60, trois amies quadragénaires issues de la bonne société japonaise, s’amusent à défrayer la chronique. Chaque mois, elles se retrouvent et se racontent leurs dernières péripéties. Mais cette fois, l’une d’elle lâche une véritable bombe : elle est allée dans un bar homosexuel. Curieuses, ses amies acceptent d’y retourner avec elles, prenant même un certain plaisir à y être admirées et traitées avec délicatesse. Jusqu’à ce qu’une des trois, Taeko, découvre le barman, Senkichi. Pour elle, c’est l’attirance au premier regard, alors que Senkichi est bien plus jeune qu’elle. A force de retourner dans ce bar, Taeko finit par avoir le courage de demander un rendez-vous à Senkichi, qui accepte. A la suite de quoi, les deux décident de se revoir. Commence alors une liaison passionnée et destructrice entre les deux..

J’avais pas mal hésité à parler de ce roman, par peur d’en parler mal. Il est..délicat, et clairement à ne pas mettre dans toutes les mains. On y retrouve plusieurs thèmes chers à Mishima : le goût de l’intrigue (ou des intrigues), l’univers homosexuel du Japon d’après-guerre, l’occidentalisation du Japon (au niveau des coutumes, de la mode..) qu’il observe avec une certaine moquerie. Et pourtant j’avais clairement préféré Les amours interdites, qui pour moi traite de ces sujets avec un peu plus de délicatesse.

Je souligne tout d’abord un gros point positif de ce roman : c’est très rafraîchissant d’avoir un trio de femmes libérées, moralement et financièrement, en personnages féminins principaux. Grâce à elles, Mishima peut s’amuser à critiquer cette société contradictoire d’après-guerre qui s’occidentalise malgré l’attachement aux anciens titres (par exemple, Taeko dont le statut de Baronne est plusieurs fois rappelé), dans plusieurs scènes savoureuses, notamment le banquet du début. Ce trio de femmes pas comme les autres me plaît, elles ont du relief, de l’humour, de la saveur ; j’aime lire ce genre de personnage féminin émancipé. Mention spéciale par ailleurs à Teruko, travesti travaillant au même bar que Senkichi, avec qui Taeko va lier une belle amitié tout au long du roman.

Et pourtant quelque chose me dérange dans ce livre, alors que tout le roman tourne autour : la relation entre Taeko et Senkichi. On s’en rend compte dés leur premier rendez-vous, ils ne sont pas assortis. Taeko, propriétaire d’une boutique de haute couture, est élégante ; Senkichi, ancien étudiant, est négligé. Et à leur second rendez-vous, c’est l’inverse ; pour ne plus jurer avec lui, Taeko s’habille de façon moins recherchée, alors que Senkichi fait un effort de présentation. Il leur semble difficile d’être sur la même longueur d’ondes. Si pour Taeko, Senkichi représente un modèle de jeunesse et de virilité, on comprend mal pourquoi Senkichi conserve sa relation avec Taeko. Profite-t-il de sa richesse, de ses connexions – de ses sentiments pour lui ? On en a l’impression. Leur cohabitation dans le même appartement, houleuse, en semble la preuve. De même que le retournement final. Pourtant rien n’est dit. Senkichi reste quelqu’un de malhonnête, qui joue, là où Taeko se donne corps et âme. Que dire de ce passage où les deux acceptent de n’être point jaloux l’un de l’autre et d’avoir chacun une aventure de son côté et en présentant à l’autre l’amant ou la maîtresse choisi(e) ? Peut-être suis-je un peu rétrograde, mais j’ai eu du mal à saisir le but de tout cela. A moins que ça ne soit pour prouver, définitivement, que Senkichi n’est clairement pas aussi attaché à Taeko qu’elle l’est envers lui. Ils ont quelques moments heureux ensemble pourtant, comme cet épisode où Taeko essaye de préparer un dîner et y réussit..modérément, et pourtant, le repas se passe bien. Pour moi, un passage résume bien leur relation : une des deux amies de Taeko lui demande si Senkichi est gentil avec elle, et elle ne sait que répondre, la question tournant et retournant dans sa tête. (Après, ce n’est que mon avis, et j’admets être parfois un peu fleur bleue.)

Ca sera donc un 7,5/10 . Le roman ne manque pas d’intérêt, Taeko et ses deux amies sont vraiment un plus, et les descriptions de Mishima concernant l’univers « scandaleux » homosexuel du Japon d’après-guerre sont toujours intéressantes. Certaines scènes ne manquent pas de piquant. Sans compter que j’ai toujours aimé le style de Mishima. L’auteur apporte des descriptions assez sympathiques de ce Japon d’après-guerre qui oscille entre traditionalisme et occidentalisation, avec pour la première fois des mentions de marque existant vraiment, comme Chanel. Mais la relation entre Taeko et Senkichi m’a été souvent pénible à lire, tant j’avais l’impression qu’elle allait droit dans le mur. Et le retournement final…j’aurais du le sentir venir ; il est rare que Mishima prenne le temps d’introduire vraiment un personnage s’il ne revient pas par la suite. Clairement, ce roman n’est pas mon préféré.

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Des fleurs pour Algernon

Critique n°2 : Des fleurs pour Algernon, Daniel Keyes

« Plus tu seras intelligent, plus tu auras de problèmes, Charlie. »

-Psychiatre de Charlie

Après avoir souvent entendu parler de ce roman, j’ai fini par y jeter un œil. Et le moins que je puisse dire, est que je n’ai pas été déçue du voyage ; je comprends pourquoi il est devenu un classique de la littérature de science-fiction.

Le héros du roman, Charlie, souffre d’un retard mental. Néanmoins, il gagne sa vie comme employé dans une boulangerie, et suit des cours destinés aux adultes en difficulté comme lui dispensés par Miss Kinnian. Un jour, suite à la proposition de deux médecins -les Dr Nemur et Strauss-, il subit une opération destinée à le rendre beaucoup plus intelligent. Il est en cela le versant « humain » de l’expérience, une souris, Algernon, ayant également subi cette opération.

Le résultat est un franc succès. Jour après jour, l’intelligence de Charlie se développe ; il parvient à mieux construire ses phrases, à maîtriser l’orthographe, à exprimer des idées plus profondes. Il parvient à rivaliser avec Algernon dans des genres de course à l’intérieur d’un labyrinthe, lit régulièrement et vite, apprend des nouvelles langues sans difficultés, engrange des connaissances de plus en plus complexes. Mais tout ne se passe pas comme prévu, l’intelligence de Charlie n’ayant pas que des avantages.

Il est tout d’abord assez important de se pencher sur la forme qu’a pris ce roman. La narration n’est pas classique. En effet, on lit les comptes-rendus rédigés par Charlie, dans un ordre chronologique, au lieu d’une narration linéaire à la troisième personne. Il s’agirait presque d’un espèce de journal intime où l’on découvre toutes les émotions, pensées, réflexions du personnage. Et c’est là où cela devient vraiment intéressant. Les premiers comptes-rendus sont écrits avec de nombreuses fautes d’orthographe, de grammaire, de syntaxe, c’est presque du déchiffrage. Mais après l’opération, on voit de lentes améliorations se profiler. La ponctuation est plus régulières, les fautes disparaissent peu à peu. Jusqu’à arriver à une expression qui est plus que correcte, remplie de mots savants.

Je dirais ensuite que ce roman est d’une tristesse infinie. Certes, en voyant les progrès de Charlie, on ne peut que s’enthousiasmer et être même fier de lui. Mais on voit aussi la pureté et l’honnêteté de ce personnage, qui veut juste faire bien son travail, être intelligent, faire plaisir à son professeur…et qui est incapable, au début, de se rendre compte que l’on se moque de lui, alors que le lecteur le sait, le sent. De même, ses souvenirs d’enfance sont pour la plupart très tristes, notamment ceux avec sa mère qui s’enflamme et jure qu’il sera intelligent comme tout le monde, refusant qu’il soit interné. Cependant certains passages sont terriblement perturbants, notamment lorsqu’il se rend compte d’une espèce de dichotomie entre l’ancien Charlie et le nouveau. L’ancien n’est pas mort, simplement en arrière-plan, et il observe, ce qui fausse certaines de ses relations.

La morale de cette histoire est cependant bien sombre et pessimiste. L’intelligence de Charlie dérange, l’isole, effraie ; il devient arrogant, imbu de lui-même, méprisant.

Au final je lui accorde un bon 8,5/10. Excellent roman, qui m’a beaucoup touchée, et vraiment d’une incroyable tristesse. Je sais qu’un épisode des Simpsons est basé sur cette histoire, mais je ne l’ai pas encore vu.

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Le Dieu-Oiseau

Critique n°1 : Le Dieu-Oiseau, Aurélie Wellenstein

« Je veux le faire. Je le ferai. J’attends ce moment depuis dix ans.  »

— Faolan

J’inaugure ce blog avec la critique du Dieu Oiseau, d’Aurélie Wellenstein. Et le moins que je puisse dire, c’est que la lecture de cet ouvrage m’a profondément ébranlée. Je n’en suis pas ressortie indemne.

Dans ce roman, nous suivons l’histoire de Faolan, un jeune esclave. Au service de Torok, fils du chef du clan du Bras de Fer, il ne rêve que d’une chose : se venger. A juste titre. Suite à la grande compétition visant à récupérer l’œuf du Dieu Oiseau ayant lieu tous les dix ans, le clan du Bras de Fer a massacré et dévoré sa famille devant ses yeux. Il ne s’en est sorti que par miracle ; Torok, intrigué par ses yeux étranges, a souhaité l’avoir comme esclave personnel…à qui il fait passer toutes ses lubies et fantaisies perverses. En conséquence de quoi, Faolan le hait. Pour se venger, il souhaite, enfin, pouvoir participer à la grande compétition du Dieu Oiseau et mener l’assaut sur le clan du Bras de Fer…Mais de nombreux obstacles l’attendent.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’univers présenté ici est violent, sans concession. Violent déjà par l’évocation du banquet, orgie de violence et de mort. Violent par les sévices que fait subir Torok à Faolan : blessures, coup de fouet, tortures psychologiques…à l’image du passage déchirant où le fils du chef de clan emmène notre héros sur les terres dévastées de son ancien clan, et l’humilie en public. Violent par la compétition du dieu-oiseau, les combats, les épreuves…et la scène de sacrifice humain à l’issue des sélectifs, qui rappelle de façon troublante les sacrifices humains mayas.

Et pourtant j’ai eu du mal à décrocher du roman. La plume d’Aurélie Wellenstein nous entraîne et nous transporte. Le style, simple, n’en est que plus percutant, surtout dans les scènes qui évoquent le banquet où les proches de Faolan ont été tués. Nul besoin d’une succession ornementale d’adjectifs pour décrire cet univers sans concession. On sent réellement le traumatisme du personnage, ses souffrances, les conséquences sur son quotidien. Il ne pense qu’à sa survie, ne supporte plus d’être touché de quelque manière que ce soit. L’auteur le dit elle-même, c’est un récit de la psychose : passé un certain point, Faolan ne sait plus ce qui est réel ou non. Ce qui soulève quelques interrogations sur la fin du roman, que je ne détaillerais pas ici.

J’ajouterai aussi que les personnages sont tous très bien campés. Il m’a été impossible de ne pas sympathiser avec Faolan, d’avoir peur pour lui, de me méfier avec lui, d’atteindre avec lui l’œuf du Dieu Oiseau . Comme si j’étais moi-même aussi traumatisée que lui. On ne peut qu’admirer sa détermination à s’en sortir, à survire, et même à se venger…alors que certains essayent de l’en dissuader, comme la cuisinière qui a elle-même tenté de participer aux sélectifs pour finalement échouer aux portes de sa vengeance. Et si certaines de ses actions peuvent sembler contestables, elles ont au moins le mérite de faire se questionner le lecteur sur la façon dont lui aurait réagi. Alors que la compétition du dieu-oiseau représente sa seule chance de se venger, est-il raisonnable de vouloir se faire des alliés ? J’aurais aimé cependant que certains personnages soient un peu plus développés, notamment Torok, qui au début du livre n’apparaît que comme le grand méchant de l’histoire. Ou alors n’est-ce que le point de vue de Faolan, qui ne le voit que comme l’antagoniste de sa vie ?

J’accorde enfin une mention particulière à la couverture, qui est véritablement magnifique. Pour avoir lu d’autres ouvrages d’Aurélie Wellenstein, j’ai pu voir que c’est le cas pour chacun de ses romans. Mes félicitations au graphiste.

J’accorde donc la note de 8,5 sur 10 à ce roman. C’est un bon roman, qui m’a transporté, mais qui n’a pas le petit quelque chose qui fait que j’ai eu un réel coup de cœur.

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